- OZU Y.
- OZU Y.Au sein du cinéma japonais, l’œuvre d’Ozu Yasujiro – qui s’étale sur plus de trente ans – est d’une importance considérable. Artisan se conformant à la politique thématique de la Sh 拏chiku (une des compagnies géantes japonaises, à laquelle il restera fidèle toute sa vie), Ozu fit preuve néanmoins d’une telle originalité technique qu’il pose des questions fondamentales au cinéma en tant que dispositif de représentation. Le cinéma d’Ozu est directement le produit du compromis de modernisation engagé par le Japon depuis l’ère Meiji. Tradition et modernité y entretiennent des rapports complexes.Enfance: la passion du cinéma et l’OccidentOzu Yasujiro est né à T 拏ky 拏, dans la trentième année de l’ère Meiji. Son origine – il appartient à une famille de commerçants – semble lui tracer sa voie; mais à Matsuzaka, petite ville située près de Nagoya, où il vécut avec sa mère et ses frères, tandis que son père gérait le commerce à T 拏ky 拏, il découvre le cinéma à l’âge de dix ans. Quand il voit Civilisation de Thomas Ince, il est pris d’une véritable passion: il collectionne les programmes, il écrit aux commentateurs des films muets (Benshi); il court à Nagoya voir des films importés d’Europe et des États-Unis. Face à l’imitation généralisée de l’Occident, le cinéma japonais, héritant de pratiques théâtrales fort éloignées du réalisme occidental, semble à l’époque rejeté par Ozu: sa quête de la modernité passe par Griffith, Chaplin, Loyd, Murnau, Sternberg, et surtout Lubitsch dont il aima particulièrement The Marriage Circle (1924).Les débuts à la Sh size=5拏chikuAprès avoir échoué à l’examen d’entrée à l’école supérieure de commerce de Kobé et être resté un an auxiliaire dans une école primaire, Ozu entre, contre la volonté paternelle, à la Sh 拏chiku en 1923. Assistant-caméraman, il ne cesse de parler technique de réalisation: nourri de films occidentaux, il est surtout préoccupé par la continuité narrative du film. Poussé par ses collègues, il devient très vite assistant-réalisateur. Il choisit ensuite d’être celui d’Okubo Tadamoto, fabricant à la chaîne de comédies fondées sur le «non-sense» et inspirées par les burlesques américains. L’humour d’Ozu semble être là parfaitement employé, dans une recherche incessante de gags. Cependant, sa carrière commencera sous le signe du film historique: il réalise en 1927 Le Sabre de pénitence d’après un film de Georges Fitzmaurice, Kick in (1916). Ce fut aussi la première collaboration de son scénariste attitré, Noda K 拏g 拏.Refusant d’aller à Ky 拏to, où devaient se tourner désormais tous les jidai-geki (films historiques), il se spécialisera, selon la logique de la production japonaise, dans le gendai-geki (drames contemporains). Il en réalisera jusqu’à la fin de sa vie, avec les mêmes collaborateurs – le scénariste Noda K 拏g 拏, l’opérateur Shigehara Hideo – et les mêmes acteurs – avant-guerre: Saito Tatsuo, Tokkan K 拏zo, Okada Tokihiko, Tanaka Kinuyo, Sakamoto Takeshi; après-guerre: Ryu Chishu, Hara Setsuko, Saburi Shin, Sada Keiji, Nakamura Ganjiro.Ozu et le drame contemporainDans les très nombreux drames contemporains d’Ozu tournés à la fin des années 1920 et au début des années 1930, le modèle américain est omniprésent. Rêve de jeunesse , Femme perdue , Un couple déménage , La Citrouille ou Body Beautiful sont des comédies de mœurs à la Lubitsch. Jours de jeunesse (1929) est une comédie universitaire, influencée par Harold Loyd. Elle témoigne des recherches et des expérimentations techniques d’Ozu, qui vont alors dans le sens de la mobilité, de la fluidité, du jeu d’identification du spectateur avec l’acteur: la caméra va jusqu’à être entraînée dans la chute à ski d’un personnage et nous en fait ainsi partager les émotions. Dans Marchez joyeusement de 1930 et Femmes au combat de 1933, les personnages, les décors des films de gangsters américains sont fidèlement recréés; ceux du film noir le sont dans L’Épouse de la nuit (1930) et Femme de T 拏ky 拏 (1933). Dès 1930, Ozu fut reconnu par la critique et son film Jeune Demoiselle , typique de cette époque, obtint le premier prix de la revue Kinema jumpo .Cependant, parallèlement à cette influence thématique et technique que viennent attester les nombreuses citations de films occidentaux sous forme d’affiches faisant partie du décor ou sous forme de scènes de film auquel assistent les personnages d’Ozu (cf. Femme de T 拏ky 拏 ), une autre tendance se dessine chez lui avec ses shomin-geki.Le shomin-geki (drames des gens du commun) met en scène le petit peuple de la ville moderne, avec, en arrière-fond dans ces années, la crise économique internationale. Comme tout le cinéma japonais de cette époque, celui d’Ozu glisse peu à peu de la comédie au réalisme social avec J’ai été diplômé, mais... (1929), La Vie d’un employé de bureau (1929), Le Chœur de T 拏ky 拏 (1931). Plus ancré dans la réalité japonaise, moins artificiel, ce genre très codé permettra à Ozu de mettre en place, à partir des pratiques techniques qui y sont liées, un cinéma se démarquant radicalement des pratiques occidentales. Ainsi, à partir de Chœur de T 拏ky 拏 , où cependant les références au cinéma occidental (notamment à La Foule de King Vidor) sont clairement lisibles, il commence à utiliser, dans les intérieurs japonais où l’on vit sur les tatamis, la position basse de la caméra, comme le faisaient tous les réalisateurs du genre: Shimizu Hiroshi, Yamanaka Sadao, Naruse Mikio... Avec Gosses de T 拏ky 拏 (1932), l’utilisation de cette position devient systématique, même en extérieur; la hauteur du regard des deux petits héros parvient encore à la justifier, justification qui disparaîtra plus tard. Dans ce film, un ensemble de règles, de tendances futures semble se mettre en place, tels le refus du fondu, le recours au simple «montage-cut»; et, si la caméra est encore très mobile, les travellings latéraux couplés qui abondent tendent à se neutraliser. Le jeu avec l’arbitraire de la mise en scène apparaît là aussi, avec le fameux travelling qui, prenant un à un les salariés en flagrant délit de bâillement, revient sur ses rails comme pour inviter le seul personnage à ne pas l’avoir fait ... à bâiller. Cette mise à découvert du dispositif cinématographique, l’utilisation sans complexe de faux raccords de regards dans Femme de T 拏ky 拏 nuisant à l’identification du spectateur à l’acteur, l’utilisation de plans sans personnages (paysages, intérieurs, objets), dont le rapport au récit ne se fait pas toujours de façon linéaire, éloignent Ozu du cinéma classique occidental, qui tend au contraire à masquer le dispositif pour créer l’illusion, à fluidifier les mouvements, à lubrifier, en quelque sorte, les articulations du récit filmique.À partir de 1935, avec Une auberge à T 拏ky 拏 – qui a pour thème le chômage –, l’errance, la nostalgie viennent de plus en plus colorer ses films. Cette nostalgie s’étaye chez lui sur le sentiment de la tristesse des choses, le «mono no aware» inscrit dans la tradition japonaise. Ozu semble se replier à ce moment sur la Tradition, tandis que sa thématique se focalise sur la famille: Cœur capricieux (1933), Une mère devrait être aimée (1934), Histoire d’un acteur ambulant (1934), Une auberge à T 拏ky 拏 (1935), Fils unique (1936) traitent tous des rapports entre parents et enfants.Ozu viendra au parlant avec cinq ans de retard: Fils unique date de 1936, alors que le premier parlant japonais fut réalisé en 1931. Faut-il expliquer ce retard par son attachement au muet et à son équipe technique? Son rapport privilégié au muet est indéniable, quand on pense à l’importance qu’il attribue à la codification de l’image (qui subsistera dans ses films parlants) et à l’expression du poids des choses, qui prennent chacune leur valeur grâce à une mise en scène «totale», à laquelle rien n’échappe. Dans Les Frères et les sœurs Toda (1941) et Il était un père (1942), réalisés pendant la guerre, son style se dépouille et sa caméra s’immobilise presque complètement.Après guerre: l’expression d’une conception du mondeAprès cinq ans d’interruption, Ozu réalise deux petites chroniques de l’après-guerre, l’une sur un enfant égaré pendant la guerre (Récit d’un propriétaire , 1947), l’autre sur une femme qui, en l’absence de son mari, prisonnier, doit se prostituer pour sauver leur enfant (Une poule dans le vent , 1948). Mais c’est en 1949, avec Printemps tardif , que, retrouvant son scénariste, il réalise, sur la base technique minimale mise en place avant-guerre, un film d’une cohérence remarquable, du scénario à l’image. Ce film constitue en quelque sorte la matrice de tous ses films d’après-guerre; il sera l’objet de remakes à plusieurs années d’intervalle: Fin d’automne en 1960 et Le Goût du saké en 1962. Il apparaît clairement à cette époque que les répétitions, les connivences, dans l’univers filmique d’Ozu, sont fondamentales. Mettant en scène indéfiniment les problèmes entre générations, dans des espaces toujours identiques (espaces sacro-saints de la société japonaise: la maison, l’entreprise, l’école, le bar, filmés sous des angles identiques), il joue cependant sur d’infimes variations qui opèrent à l’intérieur d’un film et aussi de film à film. À travers ce système se lit une conception précise du monde, étroitement liée à celles du temps et de l’espace du bouddhisme ainsi qu’à son éthique. Tous les personnages d’Ozu sont soumis à l’écoulement inexorable du temps, mais, comme les saisons qui reviennent cycliquement (voir ses titres de films), chaque personnage, chaque génération doit scander le temps à sa manière; de là naît le pathétique inhérent aux événements précodés de la vie sociale, tel le mariage, thème obsédant chez Ozu. La «variation» sur ce thème est particulièrement bien menée dès Printemps tardif , où chaque personnage le conjugue au présent, au passé et au futur.Cette présentation en coupe, sédimentaire pour ainsi dire, donne à lire l’Histoire, celle de l’évolution des mœurs et de l’américanisation; mais elle permet aussi chez Ozu la résolution de l’histoire personnelle du héros ou de l’héroïne, à qui il ne reste qu’à tirer la «logique» du monde qui l’entoure, une logique qui, cependant, n’est jamais unique ni définitive: elle diffère à chaque film. Maître de la condensation et du déplacement, d’un même objet, d’un même personnage, d’un même thème, Ozu Yasujiro fait surgir d’inépuisables formes de récit.
Encyclopédie Universelle. 2012.